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Evolution des chênes?

 

L’évolution des arbres forestiers en réponse aux changements environnementaux en cours est au centre des préoccupations écologiques actuelles et revêt un intérêt scientifique majeur non seulement en écologie évolutive, mais également en sylviculture. La question de l’adaptation des espèces est particulièrement prégnante pour les arbres à longue durée de vie tels que les chênes, pour lesquels les durées de génération peuvent apparaître comme un frein à l’évolution biologique. Il est non seulement légitime mais également urgent de se poser la question  «Y a-t-il évolution biologique chez les arbres ? Et si oui, quelle est son ampleur et quel est le rythme de l’évolution? ». La stature sessile et immuable des chênes, leur caractère pérenne, leur longévité supérieure à la nôtre ont souvent été invoqués pour pour évoquer leur « inertie  évolutive ».  En dépit de ces arguments, les chênes sont cependant pourvus de mécanismes et de propriétés qui pourraient générer des sauts évolutifs importants en peu de générations. En premier lieu, on peut citer le niveau très élevé de la diversité génétique présente dans les populations naturelles des chênes, constaté de manière récurrente à l’aide de multiples méthodes et outils.  En second lieu, on peut mentionner leur capacité à s’hybrider avec d’autres espèces facilitant ainsi l’introgression de gènes contribuant à l’adaptation à des milieux nouveaux. Enfin on ne peut oublier leur aptitude à échanger des gènes à longue distance, créant de la sorte un véritable réseau de communication génique permettant de maintenir un réservoir de diversité dont se nourrit l’adaptation et l’évolution.  Il y a donc des arguments au moins théoriques à penser que les changements évolutifs peuvent être plus importants que ne laisse augurer leur longévité. La mise en évidence expérimentale des changements évolutifs se heurte cependant à des contraintes biologiques évidentes, qui expliquent l’absence de données publiées sur le sujet. Nos recherches visent à appréhender les changements évolutifs, sur trois échelles de temps au cours desquels les changements environnementaux ont été bien documentés.

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  • la période de réchauffement post glaciaire (au cours des  derniers 15000 ans),

  • la période postérieure au petit âge glaciaire (depuis 1600 jusqu’à nos jours),

  • la période actuelle (de la génération actuelle à la suivante).

 

Nous mobilisons des disciplines complémentaires (écologie, génomique,  génétique quantitative évolutive, archéologie, paléobotanique, simulations) pour aboutir à une vision générique de l’évolution des chênes.  Elles empruntent deux approches expérimentales :

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  • La première compare des populations actuelles situées dans des milieux différents, et infère à partir de leurs différences les mécanismes passés qui ont contribué à leurs variations (approche synchronique).

  • La seconde s’intéresse aux changements observés sur les mêmes populations mais à différentes étapes de leurs trajectoires historiques (approche allochronique).

 

Ces recherches s’intéressent aux changements évolutifs qui se sont produits au niveau du génome, mais aussi - quand cela est possible - au niveau de plusieurs caractères phénotypiques contribuant au syndrome adaptatif (un ensemble de caractères phénotypiques liés au métabolisme de l’eau, à la phénologie, à la croissance, à la reproduction). Une grande partie des recherches est donc dévolue à l’analyse des polymorphismes sur des génomes entiers anciens et modernes, grâce notamment à la disponibilité d’un génome de référence du chêne. Une seconde partie, non moins importante, s’intéresse aux variations de traits phénotypiques liés à la valeur adaptative de l’arbre.  Les données nécessaires à la reconstitution de ce puzzle historique à différentes échelles de temps ont été obtenues au cours de projets antérieurs au cours des trente dernières années, et permettent aujourd’hui de s’interroger  sur les mécanismes de l’évolution récente  et sur  son orientation future. Trois orientations motivent aujourd’hui ces recherches.

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L’importance et le  rôle de l’admixture et de l’introgression.

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Les populations actuelles de chêne du centre et du Nord de l’Europe résultent de l’hybridation entre des populations sources (refuges) qui étaient localisées dans des régions génétiquement isolées (Péninsule ibérique, Italie, Balkans) durant la période glaciaire. Ces échanges entre populations sources ont eu cours durant les migrations post glaciaires. Les résultats en génomique des populations montrent que les échanges entre espèces de chênes différentes datent également de la fin du glaciaire. Ces observations suggèrent donc que les génomes des populations contemporaines de chênes peuvent être composés d’un « patchwork » original composé de portions issues de populations sources et d’espèces différentes. La disponibilité de génomes entiers anciens et modernes issus de différentes régions européennes permettra de reconstituer les pièces du patchwork et leurs origines. Une analyse fonctionnelle de ces régions devrait également contribuer à élucider le rôle adaptatif de l’introgression, et de discerner  le tri « adaptatif » qui a pu s’opérer au cours de ces brassages. Ces questions  n’ont pas seulement un intérêt académique. La redistribution actuelle des espèces dues à des dynamiques de migration suscitées par les changements climatiques contribuera à mettre en contact des espèces méditerranéennes et tempérées, et à générer une diversité nouvelle, qui pourrait faciliter sinon accélérer l’adaptation aux changements climatiques en cours.

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La contribution de l’homme.

 

Les relations hommes-forêts ont surtout été abordées sous l’angle de services rendus par la forêt à l’homme, et notamment de l’exploitation humaine des ressources fournies par les forêts. La liste des services et ressources est longue dans le cas des chênes.  Un aspect moins connu, et qui a pu avoir une contribution capitale à l’évolution des chênes, est la contribution de l’homme au succès évolutif des chênes tempérés en Europe. Une comparaison des voies et des vitesses de migrations de l’homme et des chênes, suggère que l’homme a sans doute contribué à la dispersion des chênes, alors même qu’il se nourrissait couramment de glands à l’époque où il a colonisé l’Europe.  Nos contacts récents avec la communauté des archéologues pour la récolte et l’analyse d’ADN ancien issus de macrorestes de chênes, suggèrent l’existence d’une « protosylviculture » des chênaies dès l’installation des premières populations humaines. Clairement les relations homme – chêne doivent désormais être considérées de manière réciproque.

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L’orientation de l’évolution contemporaine.

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Vu sous l’angle évolutif, les changements environnementaux globaux actuels constituent un accélérateur de l’évolution biologique dont le sens et l’orientation sont pour l’instant peu appréhendés. D’une part ces changements induisent un tri sélectif nouveau et de rare intensité. D’autre part ils contribuent aussi à des échanges de matériel génétique plus fréquents et nombreux (gènes, espèces, populations) générant une diversité nouvelle, souvent qualifiée de « non analogue ». L’estimation des gradients de sélection naturelle d’un grand nombre de caractères phénotypiques chez les chênes à différentes échelles de temps devrait permettre d’appréhender les cibles et l’orientation de la sélection. Quels phénotypes sont favorisés par les changements environnementaux en cours ? . L’estimation des gradients de sélection devient désormais possible grâce aux acquis récent en génomique et en génétique quantitative. En effet l’accès à des milliers de marqueurs génétiques permet la reconstitution de pedigree (et d’apparentements) sur plusieurs générations dans des populations naturelles d’arbres, ou les recouvrements de générations sont courants. Ces acquis permettent désormais d’étudier l’évolution in natura.

 

 

 

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Adaptation des chênes  ?

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Les processus évolutifs naturels seront-ils suffisants pour permettre aux forêts de chênes de s'adapter au changement climatique ? Le changement climatique constitue en effet un vrai défi évolutif qui ne peut être surmonté que de deux manières : la migration ou l’adaptation. On comprend aisément que la fuite vers d’autres horizons, ou le maintien sur place au prix d’une adaptation substantielle sont les seules alternatives permettant d’assurer le maintien des forêts. Avant d’aborder ces deux mécanismes, il est pertinent de s’inspirer des leçons du passé et de l’histoire des chênes. En effet le monde vivant a été confronté de manière récurrente, certes sur de plus grandes échelles de temps, à des modifications climatiques majeures. Et les études rétrospectives, associant paléobotanique, paléoécologie et génétique des populations, ont permis de retracer les trajectoires évolutives des chênes au cours de ces crises environnementales. La connaissance de ces trajectoires nous permet d’identifier les mécanismes évolutifs que les espèces risquent d’emprunter dans le futur.

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Que nous apprend le passé sur les réponses des arbres au changement climatique ?

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Pour rappel, l’histoire récente au cours du Quaternaire a été marquée par une succession de périodes froides ou glaciaires (durant généralement plus de 100 000 ans), alternant avec des périodes chaudes ou interglaciaire (de durée plus courte).  Les amplitudes de variations climatiques au cours de ces alternances étaient supérieures à celles prévues dans le contexte du changement climatique d’origine anthropique en cours. On peut dégager six grands enseignements relatifs aux réponses des chênes à ces changements environnementaux passés:

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  • Il y a eu un tri sélectif majeur portant notamment sur les arbres, par sélection naturelle, lors des tous premiers cycles de périodes glaciaires/interglaciaires. Certains chênes ont disparu en Europe à la transition Tertiaire/Quaternaire notamment ceux de la section Cyclobalanopsis et Lobatae.  Les espèces qui ont passé ce tri ont été fortement sélectionnées pour leur capacité à migrer et/ou à s’adapter. On notera aussi que les extinctions ont surtout eu lieu durant les phases de refroidissement, et non de réchauffement.

  • La migration des espèces au cours des périodes de réchauffement et déduite des analyses paléobotaniques a généralement été plus rapide que celle prédite par la dispersion due aux seuls vecteurs biotiques ou abiotiques. D’autres processus, dispersion stochastique à très longue distance ou maintien de micro-populations refuges à haute latitude durant les périodes froides, doivent également être invoqués pour expliquer cette rapidité.

  • Il y a eu adaptation locale, par suite de sélection naturelle induite par les changements climatiques. C’est l’un des enseignements majeurs des tests de provenances installés depuis plusieurs décennies en Europe: les populations locales observent localement les valeurs adaptatives les plus élevées.

  • Les espèces ont maintenu leur diversité génétique lors du dernier réchauffement. Il n’y a pas eu de perte de diversité occasionnée par la migration vers le nord. Quel que soit le niveau auquel cette diversité est mesurée (gènes ou caractères), la diversité à l’intérieur d’une forêt manifeste peu de variation géographique et représente généralement un échantillonnage assez complet de la diversité totale de l’espèce. Et ceci est vrai aux marges de l’aire de distribution des espèces.

  • Le dernier réchauffement postglaciaire  a conduit à restaurer des échanges de gènes entre espèces interfertiles, ou  entre populations  (voire écotypes)  d’une même espèce qui avaient auparavant été isolées dans les refuges au Sud de l’Europe. Certains de ces échanges ont accélérer la migration et d’autres ont favoriser l’adaptation aux nouvelles conditions de milieu.

  • Les changements de distribution des chênes tempérés en Europe au cours du dernier réchauffement postglaciaire ont conduit à une expansion de leur aire depuis le sud plutôt qu’à une translation de leur aire du sud vers le nord. Il y a donc inévitablement eu adaptation au climat chaud au Sud.

 

Que peut-on dire des capacités de migration future ?

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Les modélisations d’enveloppe bioclimatique des chênes sessile et pédonculé dans le contexte des changements climatiques prédisent un déplacement des enveloppes vers le nord et l’est de plusieurs centaines de kms d’ici un siècle. Bien qu’il existe une forte incertitude sur l’ampleur de cette expansion, l’échelle de grandeur est très largement supérieure aux distances de migration naturelle contemporaine déduite des analyses historiques. Par ailleurs les capacités de migration durant l’époque actuelle risquent en plus d’être inférieures à celles qui ont eu cours durant l’Holocène, à cause notamment des obstacles de nature très différente générés par les activités humaines. Même si la migration était rapide au cours des changements climatiques naturels et passés, elle est aujourd’hui toujours inférieure à celle qui serait nécessaire pour suivre le déplacement des enveloppes bioclimatiques. C’est ce constat qui a suscité le vif intérêt des gestionnaires pour une migration artificielle par plantation, généralement qualifiée de migration assistée.

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Que peut-on dire des capacités d’adaptation future ?

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Les réponses à cette question sont moins affirmatives. Les incertitudes sont en effet de deux ordres :

Tout d’abord, l’absence de recul et de données sur les taux d’évolution (par unité de temps) des arbres. Autant l’histoire au cours de l’holocène nous montre que les populations ont évolué génétiquement en fonction des pressions sélectives locales, générées entre autres par les facteurs climatiques, autant la vitesse à laquelle cette évolution s’est faite demeure encore très largement inconnue. Des observations indirectes et partielles sont cependant disponibles et sont issues de connaissances précises de l’histoire récente de certaines populations ou espèces. C’est le cas des espèces exotiques (exemple du Chêne Rouge d’Amérique) qui ont été introduites en Europe au cours des deux derniers siècles. A chaque fois que les populations introduites ont été comparées aux populations sources –toujours présentes dans l’aire naturelle- on a pu noter des divergences génétiques significatives notamment pour des caractères de phénologie ou de croissance. Il y a donc effectivement eu évolution sur des pas de temps relativement courts, mais on ne peut pas toujours attribuer cette évolution à une sélection naturelle conduisant à une meilleure adaptation. D’autres mécanismes liés notamment au transfert de population (dérive génétique,  effet de fondation) ont également pu contribuer à ces changements..

La seconde incertitude vient de l’appréciation très partielle de l’adaptation, que les protocoles expérimentaux et scientifiques permettent d’obtenir actuellement sur les arbres.  La valeur adaptative d’un arbre est une notion très globale qui intègre un grand nombre de caractères et propriétés, dont un nombre limité peut être raisonnablement appréhendé dans les dispositifs de recherche. Or la connaissance de la valeur adaptative, au niveau individuel ou populationelle, et de sa variation en réponse à des pressions du milieu sont nécessaires pour pouvoir faire des prédictions sur l’adaptation

Si l’expérimentation ne peut répondre qu’imparfaitement à la question de l’adaptation, la théorie offre des arguments généralement plus optimistes, qui permettent d’ailleurs d’expliquer l’évolution rapide des espèces introduites. Les arguments théoriques s’inspirent de la disponibilité d’une très grande diversité génétique, qui est la vrai la ressource alimentant l’évolution. Cette diversité est par ailleurs constamment maintenue par les échanges de gènes, grâce aux flux de pollen. Au-delà du maintien d’une diversité élevée, les flux de pollen peuvent également contribuer à une « accélération » de l’adaptation, notamment dans le cas où ces flux vont dans la même direction que le changement climatique. Concrètement, les mouvements de pollen du Sud vers le Nord peuvent transférer des gènes conférant une meilleure adaptation à la sècheresse aux populations situées au Nord.

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Quels autres mécanismes peuvent contribuer à une réponse adaptative des chênes ?

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L’adaptation résultant de modifications de composition génétique des populations consécutives à une sélection naturelle ne peut se réaliser que sur plusieurs générations. Le changement de composition génétique peut être important en une seule génération si la sélection s’exerce sur une population ayant une grande diversité génétique. Ces changements sont héréditaires et peuvent par la suite s’accumuler sur plusieurs générations. Au-delà de ces changements transmissibles de génération en génération, des modifications phénotypiques non contrôlées par des gènes peuvent également permettre aux arbres de répondre à des crises environnementales. Elles sont plus « rapides » mais non transmissibles. C’est ce qu’on appelle la plasticité. On sait expérimentalement que la plasticité de caractères liées à la valeur adaptative, comme la croissance, la phénologie, la reproduction est importante chez les chênes. On a tout particulièrement pu la mettre en évidence dans des plantations clonales, où des arbres clonés (de même génotype) ont pu être plantés dans des milieux différents. 

Il est enfin pertinent de mentionner le rôle évolutif que risque de jouer l’hybridation interspécifique dans le futur. Les chênes tempérés ont des espèces apparentées présentes en plus grand nombre en région méditerranéenne, avec lesquelles ils ont maintenu la capacité de se croiser. Par ailleurs les contacts entre espèces méditerranéennes et tempérées auront tendance à être plus fréquents dans les prochaines décennies, suite à la migration stimulée par le changement climatique. A l’instar des contacts interspécifiques qui ont été restaurés lors du dernier réchauffement postglaciaire, on peut donc raisonnablement anticiper sur des recombinaisons génétiques originales dont certaines pourront contribuer à une adaptation aux nouvelles conditions de milieu générées par le changement climatique.

 

 

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